Nouveaux métiers dans l'assurance : du numérique à l'évolution des risques (Dossier)

C’est une nouvelle fonction chez CNP Assurances. Début avril, le premier assureur de personnes en France a annoncé la nomination de Magali Noé comme chief digital officer (CDO), un poste totalement inconnu en France il y a encore trois ans, mais désormais en vogue. En effet, selon une étude du cabinet de conseil Lecko, 40 % des groupes du Cac 40 disposent à présent d’un directeur de la transformation digitale. Un engouement auquel n’échappe pas l’assurance, puisqu’au cours des seuls dix-huit derniers mois, Antoine Ermeneux (Covéa), Carline Huslin (Generali), Isabelle Moins (April) et Thomas Vandeville (Groupama), pour ne citer qu’eux, ont rejoint les rangs de ces personnes chargées de piloter dans les entreprises le vaste chantier de la mutation numérique. Ces nominations prouvent une chose : après avoir été traité essentiellement sous l’angle commercial, le numérique est perçu comme un enjeu de ressources humaines. Selon l’étude mondiale du cabinet Ernst & Young sur « La révolution des métiers », 90 % des dirigeants estiment que les fonctions vont évoluer dans leur entreprise au cours des cinq prochaines années, alors que 70 % des Français déclarent manquer des compétences nécessaires au développement de leur entreprise.

Des fonctions en construction

« Dans l’assurance, les acteurs qui vont réussir leur transformation digitale sont ceux qui seront parvenus à faire évoluer les métiers existants, tout en identifiant et en intégrant les nouveaux métiers émergents », observe Laurent Deganis, associé au sein du cabinet Kurt Salmon.

Conscient de l’importance de s’ouvrir à de nouvelles compétences pour accélérer sa mutation technologique, Allianz France a recruté vingt personnes en 2013-2014 dans son unité digital et market management : des spécialistes Web, des chargés de communication ou encore des chefs de projets digitaux. Mais quels sont les nouveaux postes apparus chez l’assureur ? « Le métier de data scientist est celui qui est le plus novateur dans notre secteur. C’est une fonction en pleine construction, à la croisée de la statistique, du CRM [Customer relationship management, ou gestion de la relation client, NDLR] et de l’informatique », indique Cécile Deman-Enel, directrice du développement ressources humaines d’Allianz France.

Pour faire face à l’explosion des nouvelles technologies dans les entreprises, les DRH doivent également recruter d’autres fonctions nouvelles liées au numérique et à forte consonance anglo-saxonne (social media manager, wellness manager…). « Dans le secteur de l’assurance, l’investissement d’une majorité des grands groupes dans les offres multicanal, le big data, mais aussi dans les objets connectés commence à avoir des effets sur l’emploi. De nouveaux besoins sont créés et nécessitent de faire appel à ces compétences digitales émergentes », observe Mehdi Lebel, manager information technology (IT) dans le cabinet de recrutement Hays.

Des spécialistes pour repenser l’organisation

Pour autant, tous les nouveaux débouchés ne sont pas uniquement issus du numérique. « Dans un contexte de mutation technologique, l’entreprise doit aussi se structurer en interne pour fluidifier les processus, pour développer son agilité et satisfaire la qualité de vie de ses salariés », explique Karine Usubelli, directrice des ressources humaines de Ciprés assurances, en précisant que le courtier accueillera en juin un directeur organisation et process. Pour repenser leurs modes de management, toutes les structures ne font pas émerger de nouvelles équipes. Certaines préfèrent recourir à une aide extérieure. « Beaucoup de demandes qui nous parviennent, concernent des postes liés à la gestion de projets. Le métier de manager de transition, notamment, est très recherché », explique Mehdi Lebel.

Et ce n’est pas tout. L’évolution de la réglementation, l’émergence de nouveaux risques ou encore le réchauffement climatique poussent les assureurs à se doter de nouveaux talents. Si bien qu’au total, en se basant sur les réponses données par les spécialistes interrogés pour réaliser ce dossier, ce ne sont pas moins de dix nouveaux métiers (lire fiches détaillées) qui s’apprêtent à modifier le paysage de l’emploi dans le secteur de l’assurance.

Toutes ces professions ont néanmoins des points communs. Tout d’abord, « alors que nous avions auparavant, particulièrement dans les filières marketing, une majorité de généralistes, les profils recrutés sont désormais des experts à la pointe des dernières techniques dans leur domaine », remarque Norbert Girard, secrétaire général de l’Observatoire de l’évolution des métiers de l’assurance.

Bienvenue dans un monde transversal et collaboratif

Autre dénominateur commun : la majorité de ces recrues sont obligées de s’appuyer sur les différentes entités de leur entreprise pour exercer leur activité. « Au travers de ces nouveaux métiers, les assureurs sortent d’une logique organisationnelle en silo, pour davantage s’appuyer sur la notion de transversalité et un fonctionnement en mode collaboratif », précise Laurent Deganis, de Kurt Salmon. D’ailleurs, pour ces postes clés hautement stratégiques, les jeunes diplômés ne sont pas la priorité des recruteurs. Dans un contexte qui implique des changements organisationnels parfois compliqués, les entreprises recherchent plutôt des personnes qui ont déjà une certaine expérience professionnelle et sont dotées d’une autorité naturelle », indique Laurent Deganis. La formation initiale des candidats ne semble même pas être un élément différenciant au moment de l’embauche pour les métiers du numérique. « La valeur ajoutée d’une personne recrutée pour du cabinet Hays. D’ici à 2018, le Syntec numérique prévoit la création de deux mille postes de data scientists, profils convoités par les entreprises de l’ensemble des secteurs.

Résultat, comme tout ce qui est rare est cher, les salaires accordés à ces nouveaux métiers risquent de monter rapidement en flèche. Selon une étude menée par le cabinet Urban Linker entre mai 2013 et mai 2014, un data scientist débutant gagne déjà, en moyenne, entre 50 000 et 60 000 € par an. « Très recherché aussi sur le marché de l’emploi, un social media manager n’ayant que cinq ans d’expérience peut espérer toucher 80 000 € par an », précise Mehdi Lebel.

Face à cette menace d’inflation, les assureurs ont la solution : ils n’hésitent pas à promouvoir leurs collaborateurs sur ces postes nouvellement créés. C’est le cas d’Allianz France, qui a lancé il y a tout juste un an la Digital Academy, une plate-forme dans laquelle ses 11 300 collaborateurs peuvent se former au numérique. « Au-delà d’une sensibilisation aux médias sociaux, nous voulons, au travers de cet espace en ligne et d’autres initiatives, renforcer les compétences de nos salariés et permettre à certains de se positionner sur nos offres d’emploi dédiées aux nouveaux métiers », reconnaît ainsi Cécile Deman-Enel.